Parce qu’aux îles ce n’est pas pareil

D’où je viens, on dit souvent « aux iles, c’est pas pareil ». Cette expression est d’ailleurs utilisée par de nombreux habitués et touristes de passage. Comme je suis présentement en vacances automnales aux îles-de-la-madeleine et que j’ai donc le temps de me poser des questions identitaires existentielles, je me demande en regardant la mer infinie écumante:  Mais qu’est-ce qu’on veut dire quand on utilise cette expression? C’est quoi qui n’est pas pareil aux îles? Qu’est-ce qui fait la distinction de notre carré de sable insulaire et surtout, les gens qui l’habitent?

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Sans avoir fait une recherche anthropologique approfondie sur la question – en fait, je m’appuie seulement sur l’avis de trois informateurs clés (me, myself and I ) – instinctivement je dirais que ce sentiment d’être des « pas pareils » est surtout lié à un feeling de bien être social et individuel que l’on vit quand on est aux îles. Non seulement on trouve que la vie, les gens et le paysage sont exceptionnels ici, on se trouve également soi-même « pas pareil »comparativement à lorsque l’on est sur la « grande terre ». Bien sûr, la culture madelinienne n’est pas parfaite, on peut parfois se sentir étouffé par une aussi grande proximité humaine et l’isolement géographique est quelques fois difficile, mais aujourd’hui, j’ai envie d’aborder le beau de cette culture riche et unique.

Quand je suis ici, j’ai l’impression qu’une cage invisible s’ouvre en moi. Mon regard s’élargit autant sur les gens que sur l’horizon. Aux îles, on se salue du regard. Ça ne se fait pas de détourner les yeux lorsque l’on croise quelqu’un, qu’on le connaisse ou non. Les gens des îles ne sont jamais trop pressés pour ne pas lever la tête vers l’autre. Bon, oui je le reconnais que sur une île de 13 000 habitants, tout le monde se connait – du moins, si on ne connait pas ta fesse gauche, on connaitra sûrement l’un de tes petits cousins de la fesse droite – et je reconnais aussi qu’il n’est pas possible d’aller faire simplement l’épicerie car entre deux allées de boites de céréales, à la demande de la mère qui accompagne un vieil ami de la Polyvalente croisé ce jour-là, tu vas assurément refaire ta généalogie au complet sur sept générations, mais enfin, ce n’est pas juste ça qui fait que ce n’est pas pareil aux îles.

Je crois qu’il y a aussi la relation au temps qui influence grandement notre rapport aux autres. D’ailleurs, selon un dicton populaire: « Aux îles on n’a pas l’heure, on a le temps. »Les madelinots et les madeliniennes n’ont pas pour habitude de prévoir longtemps d’avance leurs activités. Notre agenda s’écrit selon le temps qu’il fait dehors et comment on feel au jour le jour.

Pour les « gens de l’extérieur, veuillez noter que le féminin de madelinot est madelinIENNE et non pas madelinote, car je dis toujours qu’une madelinote c’est une madelinienne pas très bright.

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La visite ça ne se prévoit pas d’avance aux îles(sauf pendant la saison touristique!), ça arrive pis c’est toute. On arrête se dire bonjour parce qu’on passait dans l’chemin, voilà tout. D’ailleurs, la plupart des madelinots ne frappent pas avant d’entrer chez un proche ou s’ils le font, ce sera un coup ou deux juste pour avertir de leur présence. De plus, ils n’attendront pas qu’on vienne leur ouvrir pour franchir le seuil de la porte. Faque le wildsex sur la table à manger en plein après-midi, ça ne fait pas vraiment partie de nos moeurs et s’il y en a qui le pratiquent, probablement que tout le canton est au courant. On improvise des coucous qui se transforment en souper et hop! Une soirée qui se poursuit: on sort nos jeux de cartes pis nos vieilles palabres. Et là, parce que ta voisine (qui est probablement aussi l’une de tes tantes) voit qu’il y a quelques chars dans ton parking, décide de venir se joindre à vous. Pour la plupart des madelinots, ces moments sont banals, mais pour moi qui habite à l’extérieur depuis bientôt 14 ans, ce genre d’événement relève à mes yeux de la magie humaine, une magie qui est entre autre possible lorsque les gens n’ont pas peur de déranger l’autre et que les maisons sont construites dans le but d’accueillir plutôt que pour se replier sur elles-mêmes.

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Notre rapport aux gens et au temps aux îles nous permet donc de flâner, sans souci de productivité (sauf à l’été, lorsque la saison touristique bat son plein) ni d’agenda social ou familial (quoique par chez-nous ils sont synonymes) déterminé.  C’est commun, par exemple,  qu’un dimanche après-midi, des madelinots partent en voiture, à l’heure du country à CFIM (radio communautaire madelinienne), sans trop savoir d’avance où ils iront, et qu’ils s’arrêtent en chemin chez des amis ou de la famille. On flâne ainsi dans le village ou de village en village et de maison en maison.

Finalement, je dirais que nous sommes en quelque sorte des flâneurs insulaires hors du temps moderne. C’est entre autre ça – outre le fait incontesté que les paysages sont à couper le souffle #takemybreathaway- qui fait que non seulement ce n’est pas pareil aux îles,  mais aussi que nous les madelinots et les madeliniennes, nous sommes des « pas-pareils ». Enfin, même si je suis partie depuis belle lurette et que je ne porte plus l’accent de mes ancêtres, comme on dit par chez-nous: tu peux sortir la fille des îles, mais tu ne peux pas sortir les îles de la fille.

Pour celles et ceux qui se demandent:  mais qu’est-ce qui m’a poussée à partir (sous la musique d’Okoumé), je vous invite à lire Je suis une natural born voyageuse.

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17 réflexions sur “Parce qu’aux îles ce n’est pas pareil

  1. Beau texte! Je suis moi aissi originaire des iles. Et même si j’ai quité les iles il y aura bientôt 40 ans 😯, je connais ce que veut dire l’effet élastique. C’est comme si il y avait toujours quelque chose pour nous attirer vers les iles, année après année. Probablement parce que: aux iles c’est pas pareil 😊

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    1. Pour la première fois en 14ans, depuis mon départ, je ne suis pas venue cet été. Ça m’a tellement manqué! Un retour automnale me fait cependant un énorme bien. On vit les îles autrement d’une saison à l’autre. Je vous souhaite de retrouver une santé insulaire.

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  2. Moi je suis partie depuis plus de 6 ans et effectivement le coeur restera toujours aux îles !! Malgré tout ce qu’il peut y avoir de beau à visiter ailleurs mes vacances me ramène toujours dans mon petit coin de pays !!!

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  3. Merci pour ces lignes. Elles m’ont créé de la nostalgie, car nous sommes revenus des Îles il y a à peine deux semaines. La vie d’insulaires est si différente et si paisible. Je ne cesse d’en parler depuis notre retour. J’ai souvent souri en vous lisant. Au plaisir.

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  4. Natural Born Voyageuse, hein? Je vous laisse mijoter cette pensée d’un lointain descendant des îles:

    On dit beaucoup de mots,
    on fait beaucoup de pas,
    pour revenir apprendre
    qu’on s’en allait chez soi.

    – Gilles Vigneault

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    1. Moi je suis natif des Iles.. Mon épouse et moi avons visité les Iles à maintes reprises et quoique native de Montréal,elle avait un attachement naturel pour mon coin de pays. Quand elle parlait des Iles avec quelqu’un qui n’y etait jamais aller, elle disait toujours » « vous devriez y séjourner, car si vous ne le faites pas, il manquera toujours un petit quelque chose a votre culture » mon épouse est décédé en Mars 2014 et ses dernières volontés étaient les suivantes: Que ses cendres soient placés dans une urne fabriquer par les Artisants de Sable et qu’elles soient ensuite dispersées aux Iles, a un endroit précis ou elle avait l’habitude de rendre pour lire. Nous avons mes enfants et moi honorer ce devoir de mémoire, cet été, et je suis persuader qu’elle repose maintenant en paix.. C’est peut-etre cela que ca veut dire: « Aux Iles c’est pas pareil »

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