Le monsieur que je n’ai pas sauvé

Ce matin, je venais tout juste de commencer ma course matinale dans le Parc Lafontaine, j’avais à peine parcouru 500 mètres, lorsque j’aperçois un homme, dans la quarantaine environ, moyennement corpulent, assis sur un banc de parc la main sur le coeur. En le voyant ainsi, spontanément je lui demande:

– Ça va pas votre tit’coeur?

Ok, je le sais que ce n’est pas terrible comme phrase d’introduction et que c’est quasiment infantilisant, mais ce n’était pas méprisant et je tentais maladroitement d’exprimer un réel souci.

– Oh! Je ne me sens pas si bien, qu’il me répond avec un bel accent algérien.

Sur ces mots, je reviens sur mes pas.

– Oh, mais monsieur, peut-être qu’aller à l’ombre vous ferait du bien?

Le monsieur s’exécute sous mes banales recommandations. Je ralentis et je lui offre de l’eau qu’il refuse. Je lui demande alors s’il pense que ça va aller. Il me répond que oui. Je reprends donc ma course, mais avec un petit doute sur la conscience.

Pas tellement convaincue, je continue quand même de courir  et je me retourne quelques fois. Je le vois étendu sous l’arbre à l’ombre, mais je ne peux voir s’il bouge ou s’il a des spasmes. Je commence à me demander pourquoi je continue cette course? Il y a une petite voix qui me dit d’y retourner et une autre qui me dit de poursuivre mon chemin. Et là, ma conscience me questionne: pourquoi je ne me suis pas arrêtée une minute de plus auprès du monsieur afin de m’assurer qu’il aille réellement bien. Il a quand même suivi mon conseil bidon de se mettre à l’ombre, non?

On le sait tous et toutes, ce n’est pas parce qu’une personne nous dit qu’elle va bien que cela veut dire qu’elle va bien. On ment sur notre état de santé physique et psychologique pour diverses raisons: parce qu’on ne veut pas admettre nos faiblesses, parce qu’on est trop orgueilleux pour demander de l’aide ou parce qu’on a peur de déranger autant des gens proches, que des spécialistes de la santé ou une joggeuse inconnue dans le Parc  Lafontaine.

Du côté des « helpers »: pourquoi on insiste pas un peu plus auprès des personnes qui refusent notre aide, notre collaboration, notre écoute, notre amour ou simplement notre présence? Selon moi, il y a des fois que c’est simplement parce qu’on ne désire pas vraiment aider. On ne veut pas prendre le temps ni donner réellement de sa présence sans compter. Moi, si j’ai repris ma route, c’est que d’une part, j’étais gênée d’insister auprès d’un inconnu. J’avais peur de l’ennuyer. D’autre part, je reconnais que je ne savais pas vraiment quoi faire pour être utile. Je n’ai même pas mes cartes RCR et je n’ai suivi aucun cours en secourisme #ShameOnMe. Enfin, je me dois d’être honnête avec vous et surtout envers moi-même: c’est aussi parce que je n’avais pas sincèrement envie d’interrompre ma course. Tsé, je venais tout juste de la commencer. Comme je l’ai déjà écrit, Des fois je suis conne, mais j’ai au moins l’intelligence de reconnaître mes erreurs de nature humaine et je suis capable de les assumer. Je suis donc retourner voir le monsieur.

Surpris de me revoir, il m’a accueilli avec un sourire. Je lui ai demandé s’il allait mieux. Il m’a répondu positivement. Je lui ai ensuite demandé de me décrire le mal qu’il a eu et si c’était la première fois qu’il se sentait ainsi. J’ai fini par comprendre qu’il avait déjà ressenti ce genre de palpitations lorsqu’il était jeune et qu’il faisait du sport. Aujourd’hui, il a voulu s’y remettre, il venait  de jouer au volleyball avec des joueurs plus jeunes. En levant la tête, j’ai vu que quelques hommes souriants nous regarder. J’ai dès lors compris qu’il n’était pas esseulé, ni abandonné à son sort, et je suis donc repartie, en lui offrant une dernière fois une gorgée d’eau qu’il a lui aussi, une dernière fois refusée. Il m’a gratifiée en me disant « Vous êtes très gentille mademoiselle. Vraiment, merci. » Bref, je n’ai pas sauvé un monsieur dans le parc Lafontaine, mais j’ai tiré quelques leçons humaines de cette rencontre: ne pas avoir peur d’insister pour aider une personne qui semble dans le besoin et ne pas hésiter à suspendre le temps pour donner de ma présence. Qu’elle soit demandée ou non.

Chaque jour au Québec trois personnes s’enlèvent la vie. Je ne sais pas combien d’entre elles ont demandé de l’aide, ni à combien d’entre elles on a offert de l’aide, mais il y a malheureusement des mains qui ne se sont pas rencontrées. En anglais, on dit « Be kind to each other », moi je dirais juste « be there ».

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